Au quotidien, les rues sont des lieux triviaux auxquels nous ne portons guère attention. Cependant, leurs noms en disent beaucoup sur l’histoire d’une ville. À côté des rues Surcouf, Maupertuis ou Chateaubriand, se trouvent des voies souvent méconnues, qui sont pourtant des traces du riche passé de la Cité corsaire.

La déportation des Acadiens

Saint-Malo, Novembre 1758

Une épaisse brume recouvre la cité. Du large, seule l’imposante ceinture de pierres qui protège la ville transparaît. Après plusieurs semaines de traversée, les corps sont épuisés, les âmes meurtries. Le long voyage depuis l’Acadie a laissé des traces sur ces rescapés. Les disparus sont nombreux. Les plus fragiles n’ont pas pu atteindre Saint-Malo. Comme la terre qu’ils viennent de quitter, ces enfants, ces personnes âgées, abandonnés en mer, ne sont plus que des souvenirs de l’horreur.

À l’approche du port, tous ont les mêmes images qui reviennent. Comment oublier ces soldats Britanniques rassemblant les familles terrifiées pour ensuite les expulser de leurs terres ? Comment oublier ces fumées s’échappant des maisons et des champs qui brûlent ?

La déportation des Acadiens

Jacques Cartier, portrait de Théophile Hamel (vers 1844)

Tout commence au printemps 1534. Le navigateur Jacques Cartier, missionné par François Ier, tente de trouver un passage pour l’Asie. Il explore minutieusement le golfe du Saint-Laurent, cette étendue d’eau avancée dans les terres du Canada. Son voyage le mène à Gaspé, berceau de l’Amérique française. Le Malouin y plante une croix de neuf mètres, revendiquant par la même occasion la région pour le roi de France.

Lors de son second voyage (1535-1536), l’explorateur pousse son expédition un peu plus loin. Il remonte le fleuve Saint-Laurent et découvre un village d’Iroquois qu’il nomme Mont Royal, connu aujourd’hui sous le nom de Montréal.

Pour sa troisième expédition (1541-1542), Jacques Cartier a pour instruction d’implanter une colonie. Il embarque avec lui des prisonniers qu’on libère pour l’occasion. Les premières tentatives sont presque vaines. Il faut attendre 1604 pour qu’une poignée d’hommes investisse cette terre immense et fonde l’Acadie. Les années suivantes, la colonie se développe et passe plusieurs fois aux mains des Anglais, avant de revenir dans le giron de la couronne française. Mais, en 1713, le traité d’Utrecht, qui met fin à la guerre de succession d’Espagne, fait définitivement passer l’Acadie aux mains des Britanniques qui la renomme Nouvelle-Écosse.

Le Grand Dérangement

Rapidement, les premiers plans de la déportation massive se dessinent. À la fin de l’année 1720, un membre de la chambre des Lords écrit : « Il nous semble que les Français de la Nouvelle-Écosse ne seront jamais de bons sujets de Sa Majesté… C’est pourquoi nous pensons qu’ils devront être expulsés aussitôt que les forces que nous avons dessein de vous envoyer seront arrivées en Nouvelle-Écosse. » (L’histoire Acadienne : Notre maître le passé, Lionel Groulx, Bibliothèque de l’Action française, 1924)

En 1755, la déportation des Acadiens débute avec son lot de violences. Ceux qui ne réussissent pas à se réfugier dans d’autres contrées Nord-Américaines ou sur les îles voisines sont déportés vers l’Europe. Durant la traversée de l’Atlantique, de nombreux Acadiens décèdent à cause des épidémies, du froid, de la malnutrition ou des naufrages. Des historiens américains estiment que, sur une population évaluée entre 12000 et 18000 acadiens en 1755, près de 9000 périrent, soit des effets de la déportation, soit en tentant d’y échapper.

La déportation des Acadiens

Vue du pillage et de l’incendie de la cité de Grimrose, la seule représentation contemporaine connue de la Déportation des Acadiens, par Thomas Davies, 1758.

Les premiers déportés arrivent à Saint-Malo à la fin de l’année 1758. Ils viennent directement de l’île Royale et de l’île Saint-Jean. Durant les vingt années qui suivent, la cité corsaire accueille quelques 2300 nouveaux exilés. Des familles séparées se retrouvent de l’autre côté de l’Atlantique mais rien n’atténue la douleur et l’horreur dont ils ont été les témoins. Une fois sur la terre ferme, ces familles s’installent dans des cabanes, au pied de la falaise du parc des Corbières ou dans les villages alentours.

« Plus de 1700 Acadiens choisirent de rester à Saint-Malo, à Saint-Servan et dans les communes voisines. Ils s’appelaient Herpin, Février, Hérambourg, Forest, Mallet, Doucet ou Vincent. Certains de leurs descendants vivent toujours dans la région. » (Ouest-France, En passant par la rue des Acadiens, édition du 24 mars 2015)

Parmi les rescapés, quelques-uns tentent une nouvelle aventure jusqu’aux lointaines îles Malouines. En effet, un groupe d’Acadiens de Saint-Malo, mené par Louis Antoine de Bougainville, s’établit sur ces îles en 1764. Une aventure éphémère puisqu’ils sont contraints de quitter l’archipel dans les années suivantes. Quelques familles ont laissé des descendants sur ces îles ainsi qu’à Montevideo, en Uruguay.

Cette rue des Acadiens que l’on traverse sans y prêter attention, est un souvenir de l’histoire tragique que ces Français d’Amérique ont subi.

Pour en savoir plus : Il y a 250 ans – 1758 : La déportation des Acadiens, à lire sur LeDevoir.com