Au quotidien, les rues sont des lieux triviaux auxquels nous ne portons guère attention. Cependant, leurs noms en disent beaucoup sur l’histoire d’une ville. À côté des rues Surcouf, Maupertuis ou Chateaubriand, se trouvent des voies souvent méconnues, qui sont pourtant des traces du riche passé de la Cité corsaire.
Il est 22h, Noguette carillonne ! La cloche de la Cathédrale résonne dans toute la Cité Corsaire et annonce la fermeture des portes de la ville. Les derniers badauds s’empressent de regagner leur domicile. Ils laissent derrière-eux des rues désertes et silencieuses. Au même moment, une venelle située Porte Saint-Thomas s’anime. Des couinements laissent rapidement la place à des aboiements. Plusieurs chiens gémissent, sautent contre les grilles en fer de leur chenil, se bousculent, hurlent, se chiquent … Par des vociférations, les chiennetiers réussissent à les faire taire avant de les guider à l’extérieur de la ville close. Les molosses trépignent toujours. Ils tirent sur leur laisse, au point de s’étrangler et s’enfoncer les pointes de leur collier dans la chair. Leurs maitres ne craignent rien, ces énormes chiens n’oseraient s’en prendre à ceux qui les ont dressés. La confusion de son qui accompagne cette scène quotidienne s’engouffre dans les rues aux alentours avant de s’éloigner petit à petit et de finalement disparaitre dans la nuit.
Ce soir-là, la haute mer entoure la cité, les chiens sont donc lâchés à l’entrée du Sillon. Jusqu’à ce que les gardiens ne les rappellent au son de la trompette au petit jour, ils vont roder par les grèves. Ils vont surveiller les pontons, se faufiler où bon leur semble à la recherche de resquilleurs. Gare à celui qui ne respecte pas le couvre-feu ! Ces guetteurs dissuadent les voleurs. Quel fou oserait venir piller les cargaisons laissées à bord des navires au péril de sa vie ? Personne ne souhaite se retrouver face à ces dogues à la tête large et au museau court et carré. Leur cou massif, la musculature de leurs imposantes mâchoires extrêmement puissantes effraient et nourrissent les histoires les plus sordides. François-René de Chateaubriand les décrit ainsi : « Ils descendaient de ces chiens fameux, enfants de régiment dans les Gaules, et qui, selon Strabon, livraient avec leurs maîtres des batailles rangées aux Romains. »
Cette patrouille existe depuis l’an 1155. Initialement 24, puis 15, puis 12, ces bêtes sont appelées « chiens du guet », mot utilisé pour désigner une surveillance nocturne. Elle perdura à travers les siècles jusqu’à ce funeste jour : le 7 mars 1770, un jeune officier de la Marine, resté trop tard auprès de sa belle à Saint-Servan, rentre en ville à une heure trop tardive, et est attaqué, déchiqueté et dévoré par la meute. C’est l’incident de trop. Leur glas a sonné.
« Sur cette même grève rôdaient jadis les vingt-quatre dogues portiers de Saint-Malo, qui mangèrent un officier de marine en 1770. Cet excès de zèle les a fait supprimer. Aujourd’hui on n’entend plus d’aboiements nocturnes entre le petit Talard et le grand Talard » écrit Victor Hugo. Les dogues sont empoisonnés ce qui réjouit quelques Malouins libérés du droit de chiénage, l’impôt pour les entretenir.
Malgré leur disparition, la ville de Saint-Malo conserve de nombreux souvenirs de ces animaux. Ils ont donné leur nom à la rue et à la place du Guet, située à proximité du Bastion de la Hollande. Une loge avait en effet été creusée sous ce dernier lors de sa construction en 1674, afin d’accueillir le chenil où les dogues étaient tenus enfermés la journée. À cet endroit précis se dresse un hôtel restaurant leur rendant hommage. Notons qu’auparavant, les chiens étaient logés entre la Rue Garrangeau et la rue Saint-Thomas. C’est probablement sous nos pieds que subsistent le plus de traces de leur passage : sur les plaques d’égout de la ville figures deux Dogues.
« Bon voyage Monsieur Dumollet » est l’œuvre du chansonnier Marc-Antoine-Madeleine Désaugiers. Il fait référence aux Chiens du guet.
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