Au quotidien, les rues sont des lieux triviaux auxquels nous ne portons guère attention. Cependant, leurs noms en disent beaucoup sur l’histoire d’une ville. À côté des rues Surcouf, Maupertuis ou Chateaubriand, se trouvent des voies souvent méconnues, qui sont pourtant des traces du riche passé de la Cité corsaire.

15 septembre 1936 – Reykjavic

Le Pourquoi Pas ? IV commandé par Jean-Baptiste Charcot termine son escale dans la capitale islandaise. En cette belle journée d’automne, une foule est venue saluer le départ du célèbre navire qui va retrouver son port d’attache : Saint-Malo. Sans le savoir, ces au revoir adressés au célèbre trois-mâts sont en réalité des adieux.

Si le ciel est parfaitement dégagé sur les premiers miles, rapidement le temps se gâte. Brusquement le baromètre baisse et le vent se lève. La pluie lui emboîte le pas et ne tarde pas à tomber dru. Pourtant habitué à des conditions difficiles, l’équipage est chahuté par les éléments qui se déchaînent. Craignant la tempête, les Commandants se concertent et décident de rallier un mouillage près de Reykjanes. Ils espèrent être abrités dans cette petite péninsule au sud-ouest de l’île.

Les heures passent et le vent ne faiblit pas. Le bateau roule et tangue. Aux alentours de 2h30, une partie de l’équipage, restée guetter le moindre changement de temps aperçoit par intermittence un feu. Personne ne réussit à l’identifier. Ils supposent qu’il s’agit d’une ville côtière au nord de Reykjavic. Dans le même temps, le commandant essaye de changer la cape, une manœuvre qui permet d’arrêter le bateau en quelques secondes. Impossible, le bâtiment ne réussit pas à franchir le lit du vent. Il change la cape lof pour lof. À 4h le baromètre commence à monter à pic. La brigantine, voile à l’arrière du navire, est mise en loques et la corne qui va au roulis est abattue. Dans la foulée c’est la flèche d’artimon qui se casse entraînant l’antenne T.S.F. À ce moment, toute communication extérieure est interrompue.

Le Pourquoi Pas au Havre, mission Charcot, 15 août 1908

Le Pourquoi Pas au Havre, mission Charcot, 15 août 1908 [photographie de presse] : [Agence Rol] Source gallica.bnf.fr / BnF

Toute la nuit, le Pourquoi Pas ? IV est secoué par les vagues et les rafales de vent qui le percute. Au petit jour, des cris provenant de la passerelle se font entendre dans tout le navire. Tout l’équipage sort sur le pont et se rend compte qu’il est au milieu de rochers à fleur d’eau. Le temps bouché avait caché l’écueil ! Le Commandant essaye de manœuvrer pour en sortir. En vain. Le navire talonne par deux fois. De la vapeur fuse de la chaudière qui finit par céder.

Au même moment, une vague énorme balaye le pont, crevant le canot de sauvetage et projetant la petite vedette à moteur à l’eau. Sous la force des vagues la rambarde tribord se brise. Une lame emporte avec elle un marin. Malgré leurs efforts, ses équipiers ne peuvent lui porter secours. Pour éviter un autre drame, le Commandant fait capeler les ceintures de sauvetage et donne l’ordre de hisser les huniers et les focs. Mais le désastre guette. Les nombreuses tentatives de Jean-Baptiste Charcot n’empêchent pas le navire de s’écraser sur un rocher à un mille et demi de la terre.

Les hommes d’équipage n’abdiquent pas et s’emploient à écoper le bateau. Le Commandant voyant ces hommes d’équipage pomper désespérément pour sauver le navire s’exclame : « Mes pauvres enfants ! ». Effectivement, leur peine est inutile, l’eau monte trop vite. En peu de temps, le Pourquoi Pas ? IV commence à s’enfoncer par l’arrière. Il devient alors impossible de le sauver. Charcot fait mettre les embarcations restantes à l’eau.

Tant bien que mal, les hommes quittent le navire. Comme le veut la tradition, le commandant Charcot, âgé de 69 ans, refuse de quitter son bateau d’exploration. Avant de sombrer définitivement avec lui, il libère de sa cage Rita, un goéland devenu la mascotte des membres du Pourquoi Pas ? IV. Il prononce alors ces derniers mots : « Qu’elle au moins soit sauvée ! ».

L’important témoignage d’Eugène Gonidec

Il est un peu plus de 6h lorsque le maître timonier Eugène Gonidec tombe à l’eau en poussant le grand canot. Tout comme les autres membres de l’expédition, le froid les saisit immédiatement. Certains sont même paralysés au contact de cette mer gelée. Meut par son instinct de survie, le jeune timonier réussit à s’agripper et à monter dans un doris à moitié rempli d’eau où se trouvent déjà deux autres marins. Dans la confusion la plus totale, ils se hâtent de rejoindre la côte. Non loin du bord, le doris s’enfonce sous leurs pieds. Eugène se saisit d’un morceau de l’embarcation et se laisse emporter.

En arrivant aux crêtes des lames, il aperçoit la terre et une maison. Cette vision lui donne la force nécessaire pour s’en sortir. Il encourage le matelot qui l’accompagnait, mais il ne peut le suivre. Le quartier maître présent dans la barque et Eugène nagent de conserve vers une planche de débarquement qu’ils aperçoivent devant eux. Au bout de 5 minutes, celui qui accompagne le jeune marin devient violet, pousse deux ou trois cris, lève les bras au ciel et coule. À demi conscient Eugène arrive enfin à toucher terre où il s’évanouit.

L'Ouest-Éclair - Édition du 18 septembre 1936

Recueilli par un paysan islandais vers 9 heures, il ne reprend ses esprits que vers 12 heures. C’est ce courageux marin qui téléphone au consul de France à Reyjavick pour lui apprendre le naufrage. À peine rétabli, il aide un moment aux recherches et à soigner les noyés avant de s’écrouler de fatigue.

Aujourd’hui, il ne reste qu’une rue pour se souvenir de ce bateau construit dans les chantiers de Saint-Malo. Il ne reste qu’une rue pour se souvenir que ce matin du 16 septembre 1936, après douze heures de tempête, le Pourquoi pas ? IV s’est brisé sur des récifs de la côte islandaise emportant avec lui l’explorateur Jean-Baptiste Charcot ainsi que trente-neuf hommes de son équipage. Seul le maître timonier Gonidec a réchappé à la catastrophe. C’est son témoignage qui permet de retracer, minute par minute, les événements du naufrage de ce navire mythique.