Le télégraphe de Chappe

Comment communiquait-on à Saint-Malo pendant la Révolution ? 

En ce début d’année 1793, Louis XVI est déclaré coupable de conspiration, condamné puis guillotiné. La France décrète la levée en masse et espère ainsi pouvoir défendre ses frontières contre la coalition européenne qui la menace. Cet enrôlement de force suscite un fort mécontentement paysan et provoque des émeutes débouchant sur la guerre de Vendée. Une partie de l’Ouest se soulève, notamment en Ille-et-Vilaine où plusieurs insurrections éclatent. 

Face à ces dangers, réduire le temps de transmission des informations, notamment avec les armées aux frontières, se révèle décisif. Un jeune sarthois va bouleverser le domaine de la communication sur de longues distances. 

Le Télégraphe de Chappe 

À 27 ans, Claude Chappe, a une idée révolutionnaire ! Il met au point un télégraphe aérien utilisant une tour surmontée d’un mât de trois bras articulés. L’orientation des bras, qui peut être commandée depuis le pied de la tour par un opérateur actionnant des manettes reliées à un mécanisme de courroies et de poulies, forme des symboles. Chaque figure correspond à un mot. Une combinaison de ces symboles permet donc de former des phrases. Précisons, que les signaux de correspondance étaient codés afin d’en préserver le secret. Seuls quelques directeurs de télégraphes peuvent traduire ces symboles à l’aide d’un ouvrage : le Vocabulaire de Chappe. Tous ces messages sont transmis entre les stations situées sur des points élevés, espacées les unes des autres d’une dizaine de kilomètres. 

Vendre son idée à la Convention lui demande de la persévérance. En avril 1793, il obtient des fonds pour tester son invention. Trois mois plus tard, il convainc le parlement de l’époque de construire deux lignes, l’une vers Lille et l’autre vers Landau, ville de Bavière alors sous contrôle français. Un an plus tard, la première dépêche est transmise sur le réseau. Elle annonce au gouvernement la prise de la ville de Condé par l’armée révolutionnaire : « Condé restitué à la République, reddition a eu lieu ce matin à six heures ». Au lieu de parvenir à Paris plusieurs jours après l’évènement, temps habituel en diligence, l’information arrive dans la capitale en quelques minutes seulement.

Claude Chappe invente le télégraphe en 1765

Le télégraphe Malouin

Devant le succès de son invention, plusieurs lignes sont créées dont celle reliant Paris à Brest. Cette dernière passe par Saint-Malo. Parrainée par le ministère de la Marine et des Colonies, elle a pour objectif d’envoyer des messages entre ces deux villes en 30 minutes. En mars 1829, le record est pulvérisé : une correspondance provenant de Paris arrive à Brest en 8 minutes ! 

Le 27 janvier 1798, Claude Chappe, accompagné de quelques collaborateurs, arrive à Saint-Malo, rebaptisée durant cette période révolutionnaire Port-Malo, pour installer son télégraphe. Il choisit le site de la Cathédrale qui n’a pas encore de flèche. Ce poste est cerné à l’Est par une station située à Cancale et à l’Ouest par un relai au lieu-dit de la Garde Guérin à Saint-Briac. 

Notons que la position précise du télégraphe malouin va changer à plusieurs reprises. Il semblerait que la Tour Solidor à Saint-Servan ait été doté d’un télégraphe.  

La Tour Solidor à Saint-Malo

Il subsiste de son passage une correspondance où il réclame de l’argent pour installer son invention : 

« De Port-Malo, le 18 ventôse an VI.

« Des fonds ! des fonds ! encore une fois des fonds ! Autrement nous ne pouvons rien faire ; adressez-les à Port Malo. Salut et fraternité. »

La première dépêche est expédiée à Port-Malo le 5 avril 1799.

La Cité Corsaire par son importance économique et stratégique est dotée d’un directeur, qui peut déchiffrer et télégraphier des messages. 

Deux noms peuvent être associés au Télégraphe : 

  • Mathieu-Xavier Durant, né en 1755 à Charleville, département des Ardennes (08). Architecte de formation, il est le directeur du Télégraphe à Saint-Malo de 1801 à 1831. Il décède en 1838 à Saint-Servan. 
  • Jean Rigobert Bourcier, télégraphiste au poste de Saint-Malo.

Le télégraphe dans l’Histoire

Quelques traces subsistent, notamment dans la littérature. Un Malouin célèbre, François René de Chateaubriand, use de ce système en tant qu’ambassadeur. Il écrit dans l’une de ses correspondances : « Si la chose en vaut la peine, j’enverrai un courrier extraordinaire ; […] Vous pourrez être instruit par le télégraphe vingt-quatre heures avant le reste de l’Europe et expédier, si vous le voulez, un courrier pour Vienne »

Gustave Flaubert, dont nous avons déjà parlé pour son ouvrage Voyage en Bretagne par les champs et par les grèves écrit blasé : « Quelle drôle de vie que celle de l’homme qui reste là dans cette petite cabane à faire mouvoir ces deux perches et à tirer sur ces ficelles, rouage inintelligent d’une machine muette pour lui ! Il peut mourir sans connaître un seul des événements qu’il a appris, un seul mot de tous ceux qu’il aura dits. Le but ? le sens ? qui les sait ? ».

Quelle postérité ?

Alors que l’invention de Chappe ne cesse de battre des records de vitesse, le télégraphe électrique se profile déjà à l’horizon. Samuel Morse (1791-1872) dépose en 1840 un brevet qui fait entrer le monde dans l’ère de la télécommunication. Cette découverte américaine se révèle plus rapide, plus disponible et plus économe. En comparaison, l’invention française n’est pas utilisable par mauvais temps et le coût humain est important. En 1845, la première ligne de télégraphe électrique en France est créée entre Paris et Rouen. Dans les années 1850, c’est la grande expansion du télégraphe électrique et les télégraphes Chappe sont abandonnés, ligne par ligne. Celle de Paris à Brest s’arrête vers 1854.