Louis-Ferdinand Céline, écrivain adulé pour son style, ahonter pour son antisémitisme, était un amoureux de la Bretagne et particulièrement de Saint-Malo où il séjourne à plusieurs reprises. C’est dans la Cité Corsaire qu’il rédige, en partie, Mort à crédit, son second roman paru en 1936. Plusieurs témoignages permettent de retracer son passage.

Sergine Le Bannier, alors enfant, se souvient : « Céline venait régulièrement nous rendre visite à Saint-Malo, dans l’appartement, surplombant l’ancien hôtel Franklin, que ma mère avait acquis en 1931. Nous avions une immense terrasse face à la mer. Au début, Céline venait à moto. […] ». Elle se dit « frappée par cet homme qui savait parler aux enfants et portait des ficelles en guise de lacets à ses chaussures. Je me souviens que la chaîne de sa montre était aussi une ficelle, tout comme la laisse de son chat. Il était très « ficelle ». Il détonnait dans mon milieu. Par exemple, il m’asseyait sur lui à califourchon et nous faisions des concours de crachats ! »

Elle confirme que, dans un premier temps, Céline loge chez eux : « Il s’installait dans la chambre du bout, pour pouvoir travailler dans le calme. Il ne fallait pas le déranger. Je crois que c’est là qu’il a écrit une partie de Mort à crédit. »

Le grand Casino Municipal de Saint-Malo

Puis, avec Lucette Destouches, sa seconde épouse, ils louent un appartement dans le même immeuble avec vue directe sur le casino municipal qu’il décrit ainsi : « Casino carabosse tout bosses ! Mammouth, Popotame, l’aimable éternel que je l’aime ! […] Temple asiate, marmorique, berbère, laid, pas laid, biscornu ! »

Avec le témoignage de Sergine Le Bannier, nous apprenons que le lauréat du prix Renaudot pour Voyage au bout de la nuit fréquente Henri Mahé. Tous deux aiment prendre le large avant de se retrouver à la crêperie Le Corps de Garde, située sur les remparts. Elle n’oublie pas ces instants festifs : « Maguy, l’épouse de Mahé, jouait de l’accordéon. Ils prenaient tous de l’alcool, sauf Céline, qui ne buvait que de l’eau. Mais il était heureux dans cette ambiance. »

À Saint-Malo, le romancier côtoie également Théophile Briant, poète breton, fondateur du journal Le Goéland, qui habitait la Tour du Vent, à Paramé.

C’est également dans son appartement du Sillon, au 3 quai Duguay-Trouin précisément, que l’écrivain écrit son pamphlet antisémite, Bagatelles pour un massacre. Son génie littéraire ne doit pas occulter son antisémitisme, virulent, cru, inacceptable. Une ombre qui plane sur son oeuvre et va s’exprimer plus violemment encore sous l’Occupation.

Seconde Guerre mondiale, Céline en villégiature à Saint-Malo

Pour échapper au rationnement parisien, Céline se réfugie sur la Côte d’Émeraude. Hans Grimm, membre du service de renseignement SS à Rennes, lui fournit une autorisation pour se rendre en villégiature à Saint-Malo, alors zone d’accès limitée. L’officier allemand déclare au sortir de la guerre que l’écrivain effectuait des missions pour la Gestapo. C’est probablement grâce à son réseau qu’il permet à un jeune Malouin, Pierre Duverger, d’éviter le STO en Allemagne. C’est à lui que l’on doit les seules photographies en couleurs du romancier. Il se souvient de leur rencontre : « Ça remonte à 1943, au marché aux poissons de Saint-Malo… Une tête qu’il me semblait avoir vue parfois avenue Junot… de longs cheveux… un beau visage… un pantalon qui tenait par une ficelle, vraiment aucun souci vestimentaire, ce qui faisait à mes yeux homme sérieux. Il habitait à ce moment près du casino, juste devant la mer qu’il a toujours aimée. »

À l’été 1941, il s’établit près de Saint-Malo, chez André Dézarrois qui lui prête sa maison dotée d’une vue saisissante sur la pointe du Décollé et le cap Fréhel. Il se ravitaille alors au marché noir, achète beurre, pâtés, jambons en quantité … C’est dans la Cité Corsaire qu’il termine la rédaction de Scandale aux abysses, un scénario de dessin animé, et travaille à son roman Guignol’s band.

« Des heures heureuses »

Dans une lettre adressée au peintre Gen Paul, on sent son amour pour les lieux : « Tu as tort de ne pas venir en Bretagne – Je t’assure que c’est féerique en ce moment – J’ai des nouvelles de toi il paraît que tu es en plein bonheur – Tâches de venir tout de même. » Dans Féerie pour une autre fois, il évoquera avec tendresse ses séjours malouins chez la mère de Sergine Le Bannier, qu’il nomme « ma vieille pote, Mlle Marie » : « Ah j’étais content de mon local… on parle de demeures… en véritable lanterne ! Je voyais toute l’arrivée aux Portes ! […] ça c’est miracle !… À l’envoûtement de la baie d’émeraude personne n’échappe… souveraine ivresse ! Climat ! Coloris !… violence de la mer ! » Et ailleurs : « Je suis aux souvenirs vous me pardonnerez… C’était des heures en somme heureuses… » 

Céline s’amusant avec le tricycle de Sergine Le Bannier

Céline s’amusant avec le tricycle de Sergine Le Bannier

Lors du débarquement allié, il envisage de quitter Paris pour Saint-Malo, mais sur les conseils d’amis, il s’exile au Danemark. Il ne reverra plus la Cité Corsaire qui l’émeut et le fascine comme le raconte Pierre Monnier, auteur sur Céline.